Face aux écroulements, à la violence, à la perversion de la parole…se taire ou parler ?
Pourquoi pleures-tu
As-tu peur pour le monde
ou pour notre amour
Ne peux-tu rien pour moi ?
Alors dis-moi simplement ce que tu vois
De quel mal meurt-on aujourd’hui
Quelle est cette arme invisible que extirpe l’âme
et le goût à nul autre pareil de la vie
Quelle est cette caravane qui dévore ses chameaux
et vide ses outres d’eau dans le sable
Quel est ce magicien
qui fait de la guerre un acte d’amour ?
Pourquoi ce silence
Crois tu aussi que les mots sont si souillés
qu’ils ne servent même plus à demander son chemin
Crois-tu qu’il n’y a plus rien à dire
et que mes pauvres versets
ne sont que dérision sur dérision
Veux-tu que je me taise
pour te laisser regarder ces écroulements dans la dignité du silence ?
[…]
Va ma parole
ma loyale
Maintenant, corps entier
je parle
avec tous mes avortements
Vaincu, je ne me rends pas
Je vais ouvrir un grand chantier dans ma mémoire
allumer des torches avec les prunelles de mes martyrs
battre le tambour avec leurs mains
Nous allons danser la danse
des soleils qu’on nous a volés
des taureaux égorgés
et jetés avec nous dans nos cellules
des danseuses sacrées brûlées pour délit de danse
[…]
Abdellatif Laâbi, Les écroulements, dans L’arbre à poèmes, Gallimard
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